L’Espagne en tête de peloton sur les obligations perpétuelles
avril 22, 2020Le Conseil européen organise un sommet virtuel le 23 avril pour déterminer de quelle manière l’Union européenne doit faire face aux retombées économiques de la pandémie de COVID-19. La proposition de l’Espagne est de loin la proposition la plus étudiée et la plus innovante qui sera présentée. Elle devrait être le premier point de l’ordre du jour de la réunion.
La principale innovation que l’Espagne va introduire est l’émission d’obligations perpétuelles par l’UE. L’idée n’est pas nouvelle. La Grande-Bretagne a d’abord émis des obligations consolidées, ou Consols, en 1752 et les a ensuite utilisées pour financer les guerres napoléoniennes et les guerres de Crimée, la Loi sur l’abolition de l’esclavage, le prêt d’urgence à l’Irlande et la Première Guerre mondiale. Le Congrès des États-Unis a autorisé l’émission de Consols en 1870 pour consolider les dettes accumulées durant la Guerre de Sécession.
Mais jusqu’à présent l’UE n’a jamais envisagé les obligations perpétuelles. Aujourd’hui, l’Espagne les propose comme une mesure extraordinaire pour faire face à une situation extraordinaire. Elles pourraient s’avérer extrêmement efficaces.
Nous subissons actuellement les assauts d’un nouveau coronavirus largement inconnu et les obligations perpétuelles pourraient nous fournir les ressources financières nécessaires pour remporter cette bataille. Nous sommes également engagés dans une autre bataille qui menace de détruire notre civilisation : le changement climatique. Je propose que les obligations perpétuelles soient également utilisées pour financer cette bataille.
Comme leur nom l’indique, le principal sur les obligations perpétuelles n’a jamais à être remboursé, bien que dans des circonstances différentes, il puisse être pertinent de les amortir. En 2015, par exemple, le Royaume-Uni a racheté les Consols britanniques et les obligations de guerre dans leur intégralité. Mille milliards d’euros (1 100 milliards de dollars) assortis d’un coupon de 0,5 % coûteraient 5 milliards d’euros de remboursement par an. Soit 5 milliards d’euros avec un effet de levier de deux cents contre un. Même les auteurs de la « proposition officieuse » espagnole n’en réalisent peut-être pas les implications : ils consacrent une grande partie de leur proposition à la question des modalités de rembousement des obligations perpétuelles.
Mais ce n’est pas un problème. Les gouvernements de l’UE pourraient facilement souscrire 5 milliards d’euros pour rembourser une émission de 1 000 milliards d’euros d’obligations perpétuelles, à l’unanimité ou par une coalition des pays volontaires. Il n’est pas nécessaire de trouver de nouvelles sources de revenus.
Vendre des obligations perpétuelles d’une valeur de 1 000 milliards d’euros avec un rendement de 0,5 % n’est pas non plus un problème. Le plus long encours sur une obligation actuellement en circulation (les obligations autrichiennes à 100 ans) a un rendement légèrement inférieur à 0,5 %. Bien sûr, il faudra un certain temps pour que les marchés se familiarisent avec l’idée d’obligations perpétuelles. Mais l’émission d’obligations perpétuelles n’a pas besoin d’être vendue en une seule fois : elle peut être vendue par tranches et des investisseurs à long terme comme les compagnies d’assurance-vie vont se jeter dessus. Une fois les tranches écoulées, elles pourront s’échanger au prix fort comparativement aux obligations autrichiennes.
Il y a un débat sur la taille de l’émission d’obligations perpétuelles. Le président de la Commission européenne Ursula von der Leyen plaide pour 1 000 milliards d’euros, mais la proposition officieuse espagnole propose d’aller jusqu’à 1 500 milliards d’euros. Voilà une occasion d’inclure la deuxième menace à l’encontre de notre civilisation : le changement climatique. Cette menace était le principal sujet d’inquiétude de l’opinion publique et la principale préoccupation de la Commission européenne jusqu’à ce que le nouveau coronavirus éclipse tout le reste. Mais n’oublions pas le changement climatique.
L’objectif principal de l’émission d’obligations perpétuelles d’une valeur de 1 500 milliards d’euros doit être de lutter contre la pandémie, mais si elle est maîtrisée, il peut rester de l’argent pour lutter contre le changement climatique : sinon, une émission distincte d’obligations pourrait être envisagée. Il convient toutefois de souligner que la pandémie et le changement climatique sont des événements exceptionnels qui appellent à des politiques exceptionnelles : les obligations perpétuelles ne doivent pas être utilisées dans des circonstances normales.
J’ai deux autres observations à faire. La première concerne le passage suivant de la proposition officieuse espagnole : « Le Fonds pourrait être ancré dans le système du cadre financier pluriannuel sous le plafond des ressources propres, mais au-dessus du plafond de dépenses. »
On ne voit pas bien si cela signifie que le cadre financier pluriannuel (CFP) doit être subordonné aux objectifs de l’émission d’obligations perpétuelles, ou si l’émission d’obligations perpétuelles doit être subordonnée au CFP. Étant donné les difficultés à s’entendre sur le CFP, si cette dernière interprétation est correcte, les obligations perpétuelles pourraient être émises trop tard, voire jamais.
La proposition officieuse indique que le « transfert de fonds devrait être groupé en début de période », à compter du 1er janvier 2021, « et être exécuté au cours des 2 à 3 prochaines années afin de relancer les économies des pays touchés ». Cela semble indiquer que la première interprétation est correcte. Néanmoins, il serait hautement souhaitable que ces termes soient formulés de façon plus explicite.
Mon autre observation concerne l’Italie, où l’opinion publique s’oriente vers la sortie de l’euro et de l’UE. Que restera-t-il de l’Europe sans l’Italie ? Cette question souligne l’importance de l’utilisation d’obligations perpétuelles – et devrait inciter le Conseil européen à aller encore plus vite qu’il ne le prévoit actuellement.